Capitale des Éduens, peuple gaulois allié de Rome dès le IIe siècle avant notre ère, Bibracte a joué un rôle majeur dans la conquête de la Gaule par Jules César. C’est l’appel à l’aide des Éduens, menacés par la migration des Helvêtes, qui fournira au général romain le prétexte pour entrer en Gaule transalpine à la tête de ses légions, défaisant les migrants en -58 à la bataille de Bibracte (De bello gallico, 1, 2-29). Malgré cette alliance, les Éduens se rangeront aux côtés des autres peuples gaulois lors de la grande révolte de -52 et c’est à Bibracte que Vercingétorix réalisa l’unité gauloise contre les Romains. Après sa victoire définitive à Alésia, c’est encore à Bibracte que César prit ses quartiers d’hiver et qu’il acheva la rédaction des sept premiers livres de ses Commentarii de Bello Gallico.
Fig. 1. L’oppidum de Bibracte sur le mont Beuvray (photo R. Goguey).
Depuis la grande enquête sur les lieux de la Guerre des Gaules lancée par Napoléon III dans les années 1860, Bibracte a été localisée sur le Mont Beuvray, au cœur du massif du Morvan et de la Bourgogne, à la limite des départements de la Nièvre et de la Saône-et-Loire. Le site a fait l’objet de nombreuses campagnes de fouilles entre 1867 et 1907, conduites par l’érudit autunois Jacques-Gabriel Bulliot puis par son neveu, Joseph Déchelette. Leurs travaux révélèrent l’organisation complexe de cette très vaste agglomération urbaine, enceinte d’un puissant rempart. C’est aussi à partir de ses recherches à Bibracte que Déchelette démontra l’existence, au Ier siècle avant notre ère, d’une civilisation celtique partageant une même culture matérielle, sur une aire géographique qui s’étend de la Grande Bretagne aux plaines d’Europe centrale.
Après une longue interruption, les fouilles du Mont Beuvray reprirent en 1984. Avec le soutien du Président de la République François Mitterand est mis en place un ambitieux programme de recherches, conçu comme une collaboration scientifique à l’échelle européenne. Dès 1987, l’ULB est associée à l’entreprise à l’initiative du Professeur Pierre-Paul Bonenfant, alors directeur du Service des fouilles et titulaire des enseignements de protohistoire. Aujourd’hui, une douzaine d’universités et d’institutions scientifiques participent aux recherches sur le site, coordonnées par le Centre archéologique européen BIBRACTE dépendant du Ministère français de la Culture. Doté d’infrastructures exceptionnelles, et notamment d’un musée de la Civilisation celtique, Bibracte est devenu un laboratoire unique en Europe, où travaillent ensemble les chercheurs et les étudiants issus de France, de Grande Bretagne, de Belgique, d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse, de Hongrie, de Tchéquie et de Pologne, partageant leurs expériences et leurs traditions au profit d’un projet commun. Bibracte est classé au titre des Monuments historiques et des Sites depuis 1985 et a reçu, en 2008, le label de Grand Site de France.
Fig. 2. Pierre-Paul Bonenfant (1936-2010) avec le Président François Mitterand sur le site de Bibracte en 1993 (photo Bibracte/A. Maillier).
Fondée vers 120 avant J.-C., l’agglomération que César désigne comme « le plus grand et le plus riche oppidum des Éduens » représente un témoignage parmi les plus exceptionnels de ces sites urbains fortifiés qui caractérisent la dernière phase du second âge du Fer. La ville est protégée par un puissant rempart de type murus gallicus, qui délimite un espace de 135 ha au sommet du Mont Beuvray. Une deuxième ligne de fortification, plus ancienne, enclôt une surface plus importante encore, autour de 200 ha. Parmi les nombreuses portes de la ville, la Porte du Rebout ouvre sur la voie principale, large d’environ 15 mètres, qui traversait le site de part en part. L’oppidum était ainsi parcouru par plusieurs voies, structurant l’urbanisme. Passé le rempart, le quartier de la Côme Chaudron abritait de nombreuses constructions de terre et de bois, notamment des ateliers métallurgiques (bronze, fer) témoignant d’une intense activité artisanale. Arrivé sur le replat de la Pâture du Couvent, le voyageur était accueilli dans l’axe de la voie par un grand bassin naviforme, construit en pierre de taille selon une technique hellénistique. Les maisons de tradition gauloise, parfois munies de caves en bois, cotoient ici des constructions en pierre et mortier à couverture en tuiles de terre cuite typiquement romaines. Les fouilles récentes y ont également mis au jour une basilique, appartenant peut-être à un forum ; sa datation entre -50 et -30 fait de ce bâtiment civil le plus ancien exemple connu à ce jour au nord des Alpes. Plus haut, les fouilles menées sur le Parc aux Chevaux ont révélé un ensemble de grandes maisons présentant le plan caractéristique des demeures aristocratiques urbaines de l’Italie romaine, organisées autour d’un atrium, avec salles de bain, jardin à péristyle etc. qui invitent à y voir un quartier résidentiel de l’élite éduenne, très tôt romanisée. Des sources aménagées, comme la Fontaine Saint-Pierre, fournissaient l’eau nécessaire aux habitants et aux activités artisanales. Les points les plus hauts du site, la Chaume et la Terrasse, avaient vraisemblablement une vocation politique et religieuse, comme en témoigne la petite chapelle Saint-Martin édifiée à l’emplacement d’un fanum gallo-romain.
L’occupation de Bibracte n’a duré qu’un siècle environ. Au tournant de notre ère, le site est abandonné et la capitale des Éduens est transférée dans la plaine de l’Arroux, 25 km à l’est, où est fondée la ville d’Augustodunum, l’actuelle Autun. L’exploration du Mont Beuvray permet donc d’étudier le développement et le fonctionnement d’une ville représentative des derniers temps de l’âge du Fer, de sa naissance jusqu’à son abandon. Elle permet notamment de mesurer l’impact progressif de la romanisation, amorcée dès avant la conquête césarienne à travers les contacts privilégiés établis entre les Éduens et Rome. Il s’agit aussi de comprendre l’organisation de l’oppidum, ses espaces collectifs, ses quartiers et leur évolution, ses fortifications. Enfin, le programme de recherche s’attache à reconstituer la vie quotidienne des Gaulois de Bibracte, à travers les vestiges liés à l’artisanat, à l’alimentation et au commerce.
Fig. 3. Plan du site de Bibracte (dessin Bibracte).
Les recherches menées entre 1987 et 1995 sous la direction du Prof. Bonenfant ont porté sur le quartier de la Pâture du Couvent, en bordure de la grande voie traversant l’oppidum. Elles ont permis d’étudier un vaste ensemble de caves en pierre et en bois, remontant au début de l’époque augustéenne et déjà partiellement dégagées par Joseph Déchelette, qui en avait fait, dans son célèbre Manuel d’archéologie celtique (1914), le modèle de l’habitation gauloise.
Après plusieurs années consacrées à la publication de ces premières recherches, le CReA-Patrimoine a repris la fouille sur le terrain en 2009, sous la direction de Laurent Bavay. Menées en association avec une équipe de l’université de Bourgogne à Dijon dirigée par Daniele Vitali (jusqu’en 2010, professeur à l’université de Bologne), les recherches ont porté sur le secteur du Parc aux Chevaux, au centre de l’oppidum.
Désignée PC14, la structure étudiée est une très grande plateforme délimitée par un mur de pierre (son côté nord mesure plus de 100 m de long), dont la construction remonte à la phase finale de l’occupation du site, à l’époque augustéenne tardive. La fonction de cet aménagement monumental, probablement de nature publique, reste inconnue et aucune construction n’a pu être identifiée sur la plateforme. Elle témoigne néanmoins d’une modification de l’affectation de ce secteur de l’oppidum. En effet, le remblai qui constitue cette terrasse artificielle a scellé une succession de niveaux antérieurs, de nature domestique et peut-être artisanale. Cette situation offre ainsi une occasion, rare à Bibracte, d’étudier sur une grande superficie l’urbanisme de l’agglomération celtique antérieure aux derniers aménagements augustéens.
Fig. 4. L’une des caves en pierre (PCO2bis) étudiées par l’ULB entre 1987 et 1995 sur la Pâture du Couvent (photo F. Schubert).
Fig. 5. Fouilles d'une concentration d'amphores sur la PC14 (photo Bibracte/A. Maillier).
Les fouilles menées chaque été ont permis d’établir que cette plateforme, jusque là considérée comme une transformation majeure de la topographie dans ce secteur de l’oppidum, correspondait en fait à la reconstruction d’une plateforme existante. Les structures scellées par le dernier remblai de la plateforme PC14 se trouvaient déjà installées sur une terrasse artificielle, retenue par un mur de soutènement en bois. L’état final marque donc le remplacement du mur de clôture en matériaux périssables par un mur en maçonnerie de pierre, témoignage de la romanisation des modes de construction bien attestée par ailleurs à Bibracte. Les niveaux antérieurs, principalement datés de l’époque de La Tène D2c, se composent de bâtiments sur poteaux et sablières basses, au moins partiellement à fonction artisanale, d’un puits chemisé de pierre, et d’un vaste espace non bâti, revêtu d’un sol aménagé. Des fosses associées aux structures ont livré un matériel abondant, d’amphores et d’objets métallique.
Achevés en 2016, les travaux de terrain ont laissé la place aux études post-fouilles en vue de préparer la publication finale.