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Archéologie égyptienne
Thèbes (Égypte)
Sur la rive occidentale du Nil face à la ville moderne de Louqsor s’étend l’une des plus importantes nécropoles de l’Égypte ancienne. Durant cinq siècles, les pharaons du Nouvel Empire (1550-1050 avant J.-C.) s’y firent enterrer au cœur de la montagne désertique, dans la célèbre Vallée des Rois. Dominée par la pyramide naturelle de la cime de l’Occident, la montagne thébaine abrita aussi les cimetières des hauts dignitaires de l’administration, de l’armée, du clergé, des proches de la maison royale. Réparties sur environ deux kilomètres en bordure de la plaine alluviale, plus de quatre cents tombes privées ont été creusées dans le calcaire et décorées de peintures ou de reliefs, témoins exceptionnels d’un moment d’apogée de l’art égyptien.
C’est au cœur de cette nécropole, inscrite par l’Unesco sur la liste du Patrimoine mondial, que l’Université libre de Bruxelles entreprit en 1999, à l’initiative du Professeur Roland Tefnin, un ambitieux programme d’étude et de conservation-restauration de deux tombes voisines de la 18e dynastie, situées sur le flanc sud de la colline de Cheikh Abd el-Gourna. Malgré la disparition prématurée de Roland Tefnin en 2006, le projet se poursuit aujourd’hui dans le cadre d’une collaboration entre l’ULB et l’Université de Liège, grâce au soutien continu apporté par le F.R.S.-FNRS, le Ministère de la Recherche scientifique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et les deux universités.
Fig. 1. La région thébaine. |
Célèbre pour son caveau peint à l’imitation d’une vigne, le premier des deux monuments étudiés par la mission est la tombe thébaine 96 (TT 96), réalisé pour le Prince de la ville de Thèbes, Sennéfer. Ses nombreux titres, au premier rang desquels celui de directeur du domaine d’Amon, indiquent que Sennéfer occupa les plus hautes fonctions dans la gestion économique des nombreuses propriétés du temple d’Amon-Rê, le grand dieu de l’Empire.
Quelques trente mètres plus au sud, la TT 29 fut commanditée par le cousin de Sennéfer, le vizir Amenemopé. À la tête de l’administration civile, économique et judiciaire, le vizir était le premier personnage de l’État après Pharaon. D’autres membres de cette famille ont encore occupé des fonctions proches du souverain, et il ne fait aucun doute que les deux hommes appartenaient au premier cercle de l’entourage royal sous le règne d’Amenhotep II (vers 1427-1401 avant J.‑C.).
Fig. 2. Le flanc sud de Cheikh Abd el-Gourna, avec les tombes de Sennéfer TT 96 (1), d'Amenemopé TT 29 (2) et d'Amenhotep TT C3 (3) (photo L. Bavay). |
Le projet fut conçu, dès l’origine, autour de deux axes de recherche complémentaires. Il s’agissait tout d’abord, dans une perspective synchronique, d’étudier la structure et le fonctionnement d’une tombe thébaine de la 18e dynastie. Rares sont en effet les exemples de tombes pour lesquelles nous disposons d’observations archéologiques complètes, la plupart ayant été sommairement dégagées durant les premières décennies du 20e siècle. Le deuxième axe de recherche, dans une perspective cette fois diachronique, visait à reconstituer l’histoire de ces monuments, depuis leur réalisation sous le règne d’Amenhotep II jusqu’à nos jours. Là encore, et bien que la situation ait heureusement évolué depuis le début de nos travaux, il faut constater que très souvent, les fouilles n’ont guère porté d’intérêt aux vestiges des périodes postérieures au Nouvel Empire et moins encore aux époques post-pharaoniques. L’histoire de la nécropole ne s’arrêta pourtant pas avec la disparition des pharaons et connut même, durant les premiers siècles de la domination arabe, une période d’intense activité monastique.
La découverte d’une nouvelle tombe immédiatement au sud de la TT 29 ouvrit de nouvelles perspectives archéologiques à ce double projet, offrant une opportunité exceptionnelle d’élargir l’enquête, tant diachronique que synchronique, à l’organisation de l’espace dans un secteur entier de la nécropole, pour tenter de comprendre en particulier les relations entre les tombes individuelles, les critères qui ont pu présider au choix de leur emplacement ou de leurs caractéristiques architecturales, autant que l’implantation des différents occupants successifs du secteur dans le paysage archéologique.
Fig. 3. Plan d'ensemble du secteur étudié par la mission. |
La tombe d’Amenemopé, 3500 ans d’occupation
Connue des égyptologues depuis la fin du 19e siècle, la TT 29 n’avait toutefois fait l’objet d’aucune étude archéologique. L’extérieur de la tombe était encombré par les ruines d’une maison villageoise abandonnée, construite sur une épaisse couche de débris, tandis que la chapelle elle-même, protégée par une porte métallique, avait longtemps servi d’étable pour le bétail de la maisonnée et son sol était couvert d’une épaisse litière animale. La fouille a été menée entre 1999 et 2005. Suivant la tradition des tombes thébaines du Nouvel Empire, la tombe d’Amenemopé comprend une vaste cour ouverte dans le flanc de la colline, une chapelle taillée dans le calcaire destinée au culte mortuaire de son propriétaire et différents aménagements funéraires souterrains.
Fig. 4. Vue d’ensemble de la cour de la tombe du vizir Amenemopé TT 29 (photo L. Bavay). |
La chapelle présente un plan en T habituel des tombes de la 18e dynastie : une salle transversale large de 18 mètres, divisée par une rangée de dix piliers carrés, donne accès à une seconde salle que les textes égyptiens appellent « le long passage vers l’Occident » ; au fond de cette salle longue de 10 mètres et orientée est-ouest se trouve une petite niche qui abritait à l’origine une statue du défunt et constituait le point de passage vers le monde des morts. Les parois de la chapelle étaient décorées de peintures, aujourd’hui très endommagées par les occupations successives, images destinées à commémorer les fonctions et le statut social du propriétaire et assurer magiquement et pour l’éternité le bon déroulement des rituels funéraires au bénéfice du défunt.
Une inscription hiératique découverte sur le mur sud de la cour enregistre un état d’avancement des travaux d’aménagement de la tombe, « l’an 11, le vingtième jour du quatrième mois de la saison peret (saison de la germination) », date qui situe ainsi le monument dans la première moitié du règne d’Amenhotep II. Il semble pourtant que le vizir n’occupa jamais cette tombe. Comme quelques très rares proches du monarque, Amenemopé reçut l’insigne privilège d’être inhumé dans la Vallée des Rois, à proximité immédiate de la tombe de son souverain, dans un petit caveau (KV 48) découvert en 1906. La fouille de la TT 29 a pourtant révélé la présence de plusieurs puits et descenderies menant à des chambres funéraires souterraines. On relève ainsi trois descenderies dans la chapelle et un puits dans l’angle sud-ouest de la cour. Ces appartements ont probablement été occupés par des personnages apparentés au propriétaire ou des descendants. Plusieurs objets peuvent en effet être attribués au règne de Thoutmosis IV ou d’Amenhotep III et indiquent la présence d’inhumations postérieures de quelques décennies seulement au décès du vizir. La réutilisation de la tombe s’est probablement poursuivie au cours du premier millénaire avant notre ère, comme en atteste le matériel datable de la Troisième Période intermédiaire (cercueils, ouchebti) et de la 26e dynastie. À cette époque, la majorité des tombes de la nécropole sont ainsi réutilisées par de nombreuses inhumations généralement modestes. Le monument resta ensuite à l’abandon, la cour et la chapelle jonchées des débris laissés par les pillards.
Il faut attendre près d’un millénaire pour voir de nouveaux occupants s’installer dans la tombe. De la fin du 6e au milieu du 8e siècle de notre ère, de nombreuses communautés monastiques coptes colonisèrent la montagne thébaine. Organisés en monastères ou reclus en ermites, ces Chrétiens trouvèrent dans l’ancienne nécropole un lieu idéal pour mettre leur foi à l’épreuve, dans un environnement à la fois désertique et au contact quotidien avec les vestiges d’un passé païen millénaire. La TT 29 accueillit l’un de ces Pères. Au début du 8e siècle, un anachorète nommé Frangé transforma la tombe en ermitage, partagé un temps avec son jeune disciple Moïse. La découverte exceptionnelle des archives du moine, comprenant plus d’un millier d’ostraca écrits sur fragments de poterie ou de calcaire, livre un tableau très complet de la vie de ces communautés chrétiennes dans la montagne thébaine au début de la domination arabe. Parmi les occupations quotidiennes de Frangé, la copie de livres et le tissage de bandelettes de lin occupaient une place importante. Les calames, les découpes de papyrus ou encore une fosse destinée à recevoir un métier à tisser sont les vestiges de ces activités mis au jour par la fouille et faisant écho à la correspondance de l’ermite. L’étude archéobotanique des restes végétaux et la céramique culinaire utilisée par l’ermite fournissent aussi une image précise de son régime alimentaire, bien moins ascétique que celle véhiculée par les Apophtegmes et autres textes hagiographiques.
Après la disparition de ces installations monastiques, la montagne fut à nouveau abandonnée durant presque un millénaire. Ce n’est qu’avec le développement du marché des antiquités, au début du 19e siècle, que les habitants de la région trouvèrent une nouvelle raison de s’installer dans cet environnement hostile. Des villages se développèrent sur les collines, les maisons construites dans les cours des tombes pour en faciliter le pillage et protéger cette source de revenus. C’est probablement dans la seconde moitié du 19e siècle qu’une famille prit possession de la TT 29. Elle y bâtit une maison qu’elle n’abandonnera qu’au sortir de la deuxième guerre mondiale, pour s’installer à New Qurna, le nouveau village construit par l’architecte égyptien Hassan Fathi le long de la route menant au Nil. Le père de famille travaillait comme contremaître sur les fouilles françaises de Deir el-Medina...
Fig. 5. Ostraca coptes appartenant aux archives du moine Frangé (8e siècle après J.-C.) (photos L. Bavay). |
Fig. 6. À gauche : vue d’ensemble de l’ermitage copte installé dans la cour de la tombe d’Amenhotep (vers le sud) (photo L. Bavay) ; à droite : évocation de l’ermitage copte à partir des données livrées par la fouille (dessin Rafael Morales). |
La tombe perdue d’Amenhotep et Rénéna
En 2006, un sondage mené immédiatement au sud de la TT 29 révéla très vite la présence d’une autre tombe, jusque là inconnue. Sous les ruines d’une maison villageoise moderne, elle aussi abandonnée depuis plusieurs décennies, apparut l’angle taillé dans le rocher de la façade du monument et le mur de clôture de sa cour. Dans l’espace de cette cour, des murs en briques crues exceptionnellement bien conservés se trouvaient associés à un abondant matériel archéologique qui pouvait être daté de l’Antiquité tardive. Il ne faisait aucun doute que cette nouvelle tombe avait, comme la TT 29, été transformée en ermitage copte.
Il fallut toutefois attendre la campagne 2009 pour reprendre l’exploration de cette tombe, dont le propriétaire, la date exacte et l’importance nous restaient inconnus.
Fig. 7. Vue de la chapelle d’Amenhotep dans l’état de sa découverte en janvier 2009 (photo L. Bavay). |
La poursuite de la fouille permit de dégager entièrement les vestiges de l’installation copte. Occupant la partie nord-ouest de la cour, elle était délimitée à l’est par un mur de briques crues et au sud par un mur s’appuyant sur la façade juste au sud de la porte menant à la chapelle. L’espace intérieur de ce petit ermitage comprenait une cour ouverte, à laquelle on accédait depuis l’extérieur par un escalier construit en briques, et une pièce comportant deux banquettes rectangulaires également en briques crues, qui devaient probablement servir de lits à l’ermite et son disciple. La fouille a livré de nombreux ostraca coptes, qui permettent de dater l’occupation au début de l’époque arabe, sans doute dans le courant du 8e siècle comme la TT 29. En revanche, le nom de l’ermite qui vécut là n’a pas encore pu être identifié avec certitude, même si le nom d’un certain Hello revient à de nombreuses reprises.
Ces dégagements dans la cour permirent rapidement d’accéder à la chapelle creusée dans la colline. Une première salle en largeur est divisée par une rangée de six piliers carrés. Au moment de la découverte, seule la partie nord de cette salle transversale était accessible ; le plafond de l’aile sud est effondré et cette partie de la chapelle se trouvait entièrement comblée de gravats glissés le long de la colline. La deuxième salle, ou passage, s’enfonce vers l’ouest sur une longueur de 10 mètres. À l’extrémité de cette salle longue s’ouvre encore une petite pièce restée inachevée ; deux piliers carrés ont été ébauchés de part et d’autre de l’axe de la chapelle. Comme la cour, la chapelle a été occupée par l’ermite. En particulier, l’espace à ciel ouvert créé par l’effondrement du plafond, formant une petite cour abritée, conservait la fosse d’installation d’un métier à tisser ainsi que les restes d’un four à pain en terre ; au moment de la découverte, un tas de fragments de bois, certains appartenant à des cercueils peints, se trouvait encore devant la bouche du four, combustible abandonné par l’ermite après la dernière cuisson. Dans la salle longue, deux autres fosses très profondes correspondent probablement aussi à des aménagements à vocation artisanale.
Fig. 8. Partie sud de la salle transversale de la chapelle de TT C3, four et aménagements en briques crues appartenant à l’occupation copte de la tombe (photo L. Bavay). |
Les peintures qui décoraient les parois de la chapelle ont presque entièrement disparu, découpées à la scie par des pillards, sans doute dans le courant du 19e siècle pour être vendues sur le marché des antiquités. En revanche, les peintures des plafonds ont été remarquablement bien conservées. Elles présentent des motifs géométriques polychromes, classiques dans les tombes de la 18e dynastie. Ces motifs sont encadrés par des bandeaux de textes hiéroglyphiques livrant, outre des formules funéraires, les noms, les titres et la parenté des propriétaires de la tombe.
Fig. 9. L’une des peintures conservées dans la chapelle d’Amenhotep (linteau du passage entre la salle transversale et la salle longue) (photo L. Bavay). |
Fig. 10. Détail du décor peint du plafond de la chapelle, mentionnant les titres et le nom du « substitut du directeur du Trésor, le scribe [Amen]hotep » (photo L. Bavay). |
D’après ces textes, le monument appartient à un personnage nommé Amenhotep, portant les titres de scribe, de « substitut du directeur du trésor » et de « compagnon du roi dans les pays étrangers ». Son père Ahmès était scribe, responsable du bétail d’Amon et des tisserands de Haute et Basse Égypte. Sa mère Neh ne porte, quant à elle, pas de titre particulier. Une femme nommée Rénéna, sans doute l’épouse d’Amenhotep (bien que les inscriptions ne le précisent pas) occupe une place importante dans la chapelle, puisque les textes du plafond de la travée nord-est lui sont entièrement consacrés. Chanteuse d’Amon, Rénéna était la fille du directeur du trésor Sennéféri. Ce dernier est un dignitaire bien connu du règne de Thoutmosis III (vers 1479-1427 avant J.-C.) et par ailleurs propriétaire de la TT 99, distante de quelques dizaines de mètres seulement vers le nord-est. Il est dès lors fort tentant de penser qu’Amenhotep dut sa position sociale privilégiée à son mariage avec la fille de son supérieur, ce qui expliquerait la faveur inhabituelle accordée à l’épouse dans la tombe.
Les informations rassemblées permirent d’identifier la tombe d’Amenhotep avec une « tombe perdue », brièvement mentionnée dans un ouvrage publié en 1886 mais dont l’emplacement n’était plus connu. À l’occasion d’un séjour à Thèbes en 1882-83, l’égyptologue suédois Karl Piehl pénétra dans la chapelle et copia les textes du plafond de la salle transversale, dont il donna une transcription dans son recueil d’Inscriptions hiéroglyphiques, mais sans fournir d’indication sur la localisation du monument. Lorsque fut réalisé le premier inventaire scientifique des tombes de la nécropole, au début du 20e siècle, la chapelle avait déjà été recouverte de gravats et elle ne put être retrouvée. La tombe perdue d’Amenhotep reçut alors le numéro C3, parmi bien d’autres attendant encore leur redécouverte.
Plusieurs objets appartenant à la tombe avaient également été retrouvés antérieurement, parfois sur d’autres sites. Ainsi la stèle-fausse porte en granite rose, assurant dans la chapelle un point de contact magique entre le monde des vivants et l’au-delà, a-t-elle été découverte dans les années 1970 sur l’autre rive du Nil, remployée dans le dallage de la chapelle adossée au temple de Khonsou, à Karnak ! En 2013, la mission a pu ramener cette stèle à Gourna pour la réinstaller dans la chapelle ; quelques fragments de granite, jointifs, y avaient été retrouvés à la fouille, qui confirmaient sa provenance. Lors des recherches menées par l’Université de Cambridge dans la tombe TT 99, précisément celle du directeur du trésor Sennéféri, la fouille avait livré une très belle statue en grès peint représentant son beau-fils Amenhotep assis sur un siège ; la statue, sans doute placée à l’origine dans la niche au fond de la salle longue, se trouve aujourd’hui conservée au musée du Caire.
La fouille de la cour et de la chapelle, achevée en 2018, a livré encore de nombreuses informations sur l’aspect original de la tombe et ses différentes occupations. Ainsi, le mur de pierre qui couronnait la façade de la chapelle a été retrouvé, effondré au pied de celle-ci, avec ses dizaines de cônes funéraires. Caractéristiques des tombes thébaines, ces cônes en terre cuite longs d’une trentaine de centimètres portent sur la tête une empreinte indiquant le nom et les titres principaux du propriétaire et étaient insérés en frises au sommet de la façade. Il est extrêmement rare de les retrouver ainsi, en position de chute.
Dans l’angle nord-ouest de la cour a été retrouvé l’unique puits funéraire de la tombe. D’une profondeur exceptionnelle de 18 mètres, il menait à une chambre souterraine et deux petites pièces annexes. Pillés dès l’Antiquité, ces aménagements funéraires ont cependant livré un mobilier de très grande qualité, appartenant très certainement (pour partie au moins) à l’inhumation originale : de la vaisselle de pierre, des ouchebtis en bois peint, des éléments de meubles en bois (lits et chaises), des céramiques importées, des vanneries remarquablement conservées, ainsi que de nombreux fragments de papyrus appartenant à un Livre des Morts inscrit pour Rénéna ; il s’agit assurément d’un document exceptionnel, tant les papyrus funéraires pour une femme sont rares à la 18e dynastie. Un cercueil du type de la 18e dynastie a été retrouvé dans la chambre, mais il semble avoir été réutilisé pour un personnage nommé Mersouamon, dont on ne connaît ni les titres, ni la parenté, ni la date exacte. Par ailleurs, de très nombreux fragments de cercueils en bois peint sur fond jaune peuvent être attribué au début de la 20e dynastie, attestant une réutilisation du caveau à l’époque ramesside.
Fig. 11. Statue d’Amenhotep, découverte en 1993 par la mission de l’université de Cambridge dans la tombe TT 99, aujourd’hui conservée au musée du Caire, inv. JE99148 (photo M. Kacicnik, avec l’autorisation du musée du Caire). |
Fig. 12. Fouille de la chambre funéraire au fond du puits de la tombe d’Amenhotep (photo L. Bavay). |
Fig. 13. Ensemble de vases en « albâtre égyptien » (calcite) appartenant probablement à l’inhumation d’Amenhotep, 18e dynastie (photo V. Dupuis). |
La pyramide du vizir Khay : Sur la piste d’une nouvelle tombe
La fouille de l’ermitage copte dans la cour de la TT C3 avait montré que les constructions tardives s’appuyaient sur une épaisse couche constituée presque exclusivement de briques crues entassées sans ordre. Ces vestiges devaient provenir de la destruction d’un monument construit à proximité, mais sa nature demeurait une énigme car les tombes de la 18e dynastie ne comportaient habituellement pas de structures en briques crues aussi imposantes. La réponse vint avec la poursuite du dégagement de la cour et elle fut pour le moins inattendue. Sur le sol taillé dans le calcaire de la cour se dresse une construction massive en briques crues. Malgré son état très ruiné, elle présente un socle aux parois verticales et recouvertes d’un enduit de moûna soigné. La face occidentale — la seule entièrement préservée — mesure 10,40m de côté, soit très précisément 20 coudées royales pharaoniques. Du côté sud, le monument englobe dans sa masse le mur de pierre formant la clôture originale de la cour ; contre ce mur s’appuie la face sud de la construction, conservée sur une hauteur de 11 assises de briques et présentant une pente de 71°. Ces caractéristiques, ainsi que le mode de construction, permettent d’identifier la structure comme la base d’une pyramide en briques crues, semblable à celles qui surmontent les tombes d’époque ramesside (19e-20e dynasties) dans la nécropole thébaine. Cet interprétation a été confirmée par la découverte du pyramidion en pierre qui coiffait la pyramide ; retrouvé en fragments sur le sol de la cour, il est réalisé en grano-diorite et présente un décor en relief dans le creux montrant le défunt en adoration devant le dieu Rê-Horakhty assis, surmontés par un disque solaire. Dans la partie orientale du monument, un lambeau de sol soigneusement enduit représente le vestige de la petite chapelle aménagée dans le corps de la pyramide.
Fig. 14. Vue générale de la pyramide en briques crues du vizir Khay dans la cour de la tombe TT C3. Au premier plan, l’ouverture du puits funéraire de la tombe d’Amenhotep (vers le sud-est) (photo L. Bavay). |
Jusque là, aucune tombe d’époque ramesside n’était connue dans ce secteur de la colline de Cheikh Abd el-Gourna. Le propriétaire de ce monument peut être identifié grâce aux inscriptions retrouvées ; parmi les briques crues de la destruction de la pyramide se trouvaient plusieurs dizaines de briques cuites de même module (32 x 18 x 8 cm), présentant une grande empreinte de sceau appliquée avant cuisson ; le texte hiéroglyphique indique « l’Osiris [c’est à dire le défunt], le maire de la ville et vizir de Haute et Basse Égypte, Khây ». Attesté par de très nombreux documents (statues, stèles, ouchebtis, ostraca, blocs), le vizir Khây est un personnage bien connu des égyptologues, en particulier pour son rôle dans la gestion de la communauté des artisans de Deir el-Medina. Son activité est documentée durant une quinzaine d’années à partir de l’an 30 du règne de Ramsès II (vers 1279-1213 avant J.-C.), mais sa tombe n’avait pu être localisée à ce jour.
Si la pyramide découverte dans la cour d’Amenhotep appartient bien au monument funéraire de Khây, vizir de Ramsès II, sa tombe proprement dite doit se trouver à peu de distance en contrebas. Des indices permettent d’établir avec une presque certitude qu’elle est située immédiatement à l’est, sous une maison moderne encore occupée. Avec ses 10 mètres de côté pour une hauteur originale que l’on peut estimer à 15 mètres d’après la pente de sa face et du pyramidion, la pyramide installée sur une crête de la colline devait représenter un point de repère dans le paysage thébain, visible de très loin depuis la vallée. D’autre part, sa position dominant directement le Ramesseum, Temple de Millions d’Années de Ramsès II, apparaît incontestablement idéale pour la tombe d’un personnage de l’importance de Khây.
Le dégagement et la fouille de la tombe du vizir Khay pourra se faire dans l’avenir, lorsque les procédures en cours pour indemniser les propriétaires de la maison villageoise auront abouti. D’ici là, la mission poursuit la documentation, l’étude et la conservation du mobilier archéologique très abondant découvert depuis 2009 en vue de la publication de la tombe d’Amenhotep, à paraître dans la collection Études d’archéologie thébaine du CReA-Patrimoine.
Fig. 15. Pyramidion en grano-diorite qui coiffait à l'origine la pyramide de brique crue (photo M. Kacicnik). |
Fig. 16. Restitution de la pyramide de Khay réalisée à partir des informations livrées par l’étude archéologique (dessin Rafael Morales). |
Les travaux de la mission archéologique dans la nécropole thébaine, co-dirigés par L. Bavay (ULB) et D. Laboury (Uliège) sont soutenus financièrement par l’ULB, l’ULiège, le ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le FNRS (crédit pour séjours à l’étranger, PDR T.1017.14 (2014-2018), PDR 2.4583.10 (2010-2013).
Orientation bibliographique :
- L. Bavay, « La tombe thébaine d’Aménémopé, vizir d’Amenhotep II », Égypte Afrique & Orient 45, 2007, p. 7-20.
- L. Bavay, « La tombe perdue du substitut du chancelier Amenhotep. Données nouvelles sur l’organisation spatiale de la nécropole thébaine », Bulletin de la Société française d’Égyptologie 177-178, 2010, p. 23-43.
- L. Bavay, “Theban Tomb C.3 and the statue of Amenhotep Cairo JE 99148”, dans : M. Pitkin (éd.), The Overseer of Works in Memphis and Thebes. Studies in honour of Nigel Strudwick, Wallasey, Abercromby Press, 2023, p. 207-223.
- L. Bavay, D. Laboury, « Dans l’entourage de Pharaon. Art et archéologie dans la nécropole thébaine », dans : Ceci n’est pas une pyramide… Un siècle de recherche archéologique belge en Égypte, Leuven-Paris, Peeters, 2012, p. 62-79.
- L. Bavay, R. Tefnin, « Cheikh abd el-Gourna, Thèbes » dans : L’archéologie à l’Université libre de Bruxelles (2001-2005). Matériaux pour une archéologie des milieux et des pratiques humaines, Bruxelles, CReA-Patrimoine, 2006 (Études d’archéologie 1), p. 67-74.
- A. Boud’hors, Ch. Heurtel, Les ostraca coptes de la TT 29. Autour du moine Frangé, Bruxelles, CReA-Patrimoine, 2010 (Études d’archéologie thébaine 3), vol. 1 Textes (432 p.), vol. 2. Index et planches (86 p. + 133 pl.).
Belgian expansionism and the making of Egyptology, 1830-1952
Projet de recherche EOS - Excellence of Science 2018-2023 (EOS ID 30885993)
L’égyptologie est apparue en Belgique plus tard qu’ailleurs en Europe. Mais une fois lancée, elle a connu une croissance rapide au cours de la première moitié du 20e siècle, au point que, dans les années 1930, Bruxelles a parfois été qualifiée de « capitale de l'égyptologie ». Le projet « Pyramids and Progress » (P&P) s’attache à l’étude de ce développement remarquable, qui s’inscrit dans le contexte de l'expansionnisme politique et industriel belge vis-à-vis de l'Égypte, un processus qui a débuté au 19e siècle, pratiquement dès la création de l'État belge en 1830. À cette époque, la Belgique aspirait à devenir un acteur sur la scène mondiale. Cette ambition concernait non seulement le Congo, qui allait devenir une véritable colonie, mais aussi d’autres régions du monde. L’Égypte, avec sa situation stratégique en Afrique et ses monuments antiques fascinants, a joué un rôle clé. Mais qu'est-ce qui a motivé cet intérêt belge en Égypte ? Comment la royauté, les politiciens, les diplomates, les industriels et les intellectuels belges se sont-ils positionnés dans le cadre de la doctrine expansionniste ? Et comment l'égyptologie en tant que discipline scientifique s'est-elle développée en Belgique dans ce contexte ? Les réseaux personnels, institutionnels et commerciaux des différents acteurs sont analysés et la question est posée de savoir comment cette politique a créé un climat dans lequel de célèbres égyptologues tels que Jean Capart ont pu donner à leur discipline la place de choix qu’elle occupe en Belgique.
Mené entre janvier 2018 et décembre 2023, ce projet de recherche a été financé par le F.R.S.-FNRS et le FWO dans le cadre du programme Excellence of Science, qui promeut la recherche conjointe entre chercheurs des communautés flamande et française de Belgique.
Le projet « Pyramids and Progress » a ainsi associé cinq institutions belges :
- La KU Leuven (Prof. Harco Willems et Prof. Yann Tristant, coordinateurs du projet), avec Vincent Oeters (chercheur doctorant), Athena Van der Perre (chercheuse post-doc) et Marleen De Meyer (chercheuse post-doc).
- L’Université libre de Bruxelles (Prof. Laurent Bavay et Eugène Warmenbol), avec Gert Huskens (chercheur doctorant, cotutelle UGent), Dorian Vanhulle (chercheur post-doc), Jean-Michel Bruffaerts (chercheur non doctorant), Noortje Lambrichts et Joffrey Liénart (archivistes), Chloé Francisco et Mathieu Geeraerts (documentalistes).
- L’Universiteit Gent (Prof. Christophe Verbruggen), avec Jan Vandersmissen (chercheur post-doc), Hans Blomme (ingénieur informaticien).
- Le musée Art et Histoire de Bruxelles (Luc Delvaux, Wouter Claes)
- Le musée royal de Mariemont (Marie-Cécile Bruwier, Arnaud Quertinmont), avec Sophie Urbain (archiviste).
Les recherches de Jean-Michel Bruffaerts ont été co-financées par le Fonds Jean Capart (https://jeancapart.org).
Publications du projet (sélection associant les chercheurs ULB) :
- Bruffaerts J.-M., Jean Capart. Le Chroniqueur de l’Égypte, Bruxelles, Éditions Racine, 2022, 256 p.
- Bruffaerts J.-M., “Belgium”, in: Bednarski A., Dodson A., Ikram S. (eds.), A History of World Egyptology, Cambridge, Cambridge University Press, 2022, p. 153-187.
- De Meyer M., Cartier d’Yves S. de (eds.), Belgians on the Nile. A History of Royal Visits, Entrepreneurship, and Archaeological Exploration in Egypt, Alexandria: Bibliotheca Alexandrina, 2020.
- De Meyer M., Vandersmissen J., Verbruggen C., Claes W., Delvaux L., Bruwier M.-C., Quertinmont A., Warmenbol E., Bavay L., Willems H., “Pyramids and Progress. Belgian expansionism and the making of Egyptology, 1830-1952”, in: Navratilova H., Gertzen T.L., Dodson A., Bednarski A. (éd.), Towards a History of Egyptology. Proceedings of the Egyptological Section of the 8th ESHS Conference in London, 2018, Investigatio Orientis 4, Münster, 2019, p. 173-193.
- Delvaux L., Van Caelenberghe (eds.), Expéditions d’Égypte. Catalogue de l’exposition Musée Art et Histoire de Bruxelles, 31 mars – 1er octobre 2023, Bruxelles : Ludion, 2023, 248 p.
- Huskens G., The Lion and the Sphinx. An entangled history of Belgian diplomacy in Egypt, 1830-1914, thèse de doctorat en co-tutelle ULB (prof. L. Bavay) et Ugent (prof. Christophe Verbruggen), soutenue le 23 juin 2023.
- Vanhulle D., Une ancienne collection royale aux Musées Art et Histoire de Bruxelles. Les antiquités égyptiennes du roi Léopold II, Leuven, Peeters Publishers, in press.