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Programme de fouilles 2011-2015, étude 2011-2019
Dans le cadre d’une demande déposée par l’École belge d’Athènes, l’équipe de l’ULB a obtenu un permis du Ministère grec de la Culture pour mener un programme quinquennal (2011-2015) de recherches archéologiques et de restauration/mise en valeur d’un secteur de la Nécropole d’Itanos, cité grecque située dans la partie orientale de l’île de Crète (Fig. 1).
Fig. 1 : Carte de la Crète orientale.
L’exploration archéologique a plus particulièrement porté sur le secteur occidental et méridional d’un bâtiment archaïque, situé dans une zone de la nécropole aux VIIIe et VIIe et, ensuite, du IVe au Ier s. avant J.C. Le bâtiment, partiellement mis au jour par des campagnes de fouilles antérieures, menées dans le cadre d’une collaboration avec l’École française d’Athènes (1995-1999) (Fig. 2), revêt une importance capitale pour l’archéologie crétoise des époques archaïque et classique. Sa première et principale phase d’activité, datée du VIe siècle avant J.-C., correspond au moment où l’on observe à Itanos, comme ailleurs en Crète, une interruption (ou tout au moins une diminution significative) des pratiques funéraires archéologiquement répérables. Au moment de la reprise des fouilles en 2011, la nature précise du bâtiment n’était pas encore clairement définie mais sa taille importante (16 x 35 m pour la partie dégagée), sa construction soignée ainsi que la grande qualité du matériel céramique — composé en majorité de formes sympotiques— suggéraient une fonction publique. Compte tenu de l’importance de cet édifice, il est paru opportun de poursuivre son dégagement pour définir plus précisément sa fonction et explorer l’une des énigmes de l’archéologie crétoise, qui constate une relative cessation d’activité dans les cimetières de l’île aux VIe et Ve s. av. J.-C. que l’on a souvent interprétée comme une marque de « déclin » des cités. La fouille a permis de comprendre non seulement la nature et les usages des occupations successives du complexe du VIIe au milieu du IVe siècle avant J.-C. mais aussi son articulation avec le reste du secteur (Fig. 3).
Fig. 2 : Vue panoramique du complexe archaïque partiellement fouillé et de la nécropole, après le programme de fouilles 1995 - 1999 (© CReA-Patrimoine).
Fig. 3 : Vue aérienne (du Sud au Nord) du secteur fouillé de 2011 à 2015, complexe archaïque et nécropole restaurée (© CReA-Patrimoine).
Le complexe archaïque (VIe-début Ve siècle av. J.-C.)
Situé dans une zone proéminente de la nécropole, qui est largement visible à partir du centre urbain, le complexe archaïque est érigé dans un secteur préalablement occupé par des sépultures du VIIIe-VIIe s. av. J.-C. Ces dernières sont en grande partie détruites par l’implantation de la nécropole tardo-classique et hellénistique, mais il est possible de proposer une restitution de fosses funéraires, partiellement couvertes de petits tumuli de pierre, parfois intégrés dans des enclos. La fouille a montré que la phase de monumentalisation du complexe s’appuie directement sur certains de ces enclos funéraires antérieurs. Cette succession matérialise le lien entre cette première occupation funéraire du secteur et l’usage du complexe archaïque.
Les travaux sur le terrain ont également montré que le complexe archaïque s’installe en limite occidentale de la nécropole d’Itanos. Le plan révèle un ensemble composé de grandes cours et de pièces couvertes, dont une salle munie d’un foyer (Fig. 4). À ces structures vient s’accoler au Nord une grande aire, accessible par un escalier, mais dont la limite septentrionale et la fonction ne sont pas encore clairement définies. On constate donc un effort de monumentalisation de ce secteur situé en limite de la nécropole, à une époque caractérisée jusqu’ici par l’absence de traces archéologiques de l’activité funéraire.
Ce nouveau complexe semble présenter un « double centre ». Le premier, radicalement neuf, est constitué de la grande salle au foyer [B] (Fig. 4 : B). Le nombre de vases associés au banquet et à la cuisine, découverts dans cette pièce, laisse penser que cet espace était réservé à une forme de commensalité, tandis que la pièce C (Fig. 4 : C) pouvait faire office d’espace de stockage (ce qui expliquerait l’inclusion de deux plaques de schiste dans le sol, à proximité des murs, et qui servaient très vraisemblablement à l’installation de contenants plus volumineux), la cour E (Fig. 4 : E) servant de lieu de préparation des mets. L’égout qui s’échappait de la salle B permettait de la nettoyer sans difficulté et renforce cette interprétation. Le second pôle, dans la partie occidentale, est cultuel et il se rattache bien davantage aux vestiges antérieurs. En effet, dans la salle F (Fig. 4 : F), qui monumentalise un enclos du VIIe s., un dallage semble avoir été implanté autour du creusement que nous associons à une tombe [T71, fig. 5]. Devant la tombe, à l’Est, un dispositif en terre crue a été repéré qui a pu servir de table d’offrandes. Tout se passe comme si une tombe du VIIe s. — dont l’importance avait déjà été signalée par la construction d’un enclos, au sud de cette vaste enceinte — avait été choisie pour y conduire quelque rituel, en intérieur, même si l’on ne peut totalement exclure que l’espace F ait été ouvert. La fonction rituelle de la grande cour occidentale [D] est également attestée. D’une part, une autre tombe [T73] a été préservée, dans l’angle Sud-Ouest, au VIe s., elle aussi entourée d’un dallage et sans doute complétée d’une banquette, faisant face à la cour, qui a pu recevoir des offrandes (Fig. 6). Il est vraisemblable que ces deux anciennes sépultures [T71 et T73], aient fait l’objet d’un aménagement spécifique au VIe s. C’est probablement à ce moment qu'elles furent nettoyées consciencieusement et que l’on déposa, au moins, dans la fosse T71, une chytra éginète de la 2e moitié du VIIe s. ou du début du VIe s., scellée par une pierre ronde (Fig. 8-9). D’autre part, dans la partie septentrionale de la cour, une série de fosses ont révélé des pratiques rituelles sous la forme de pyrai (fig. 7) qui ont livré des restes de figues et de raisins.
Fig. 4 : Plan du complexe archaïque avec les phases successives d’occupation (VIIe – milieu IVe s. avant J.C.) (© CReA-Patrimoine).
Fig. 5 : Les fosses funéraires T73 (à gauche) et T71 (à droite) avec les restes de dallage, vue de l’Ouest (© CReA-Patrimoine).
Fig. 6 : Fouille de la T73, à l’avant-plan le dallage et, sur la gauche, les restes de la banquette en brique crue et dalle en ammouda (© CReA-Patrimoine).
Fig. 7 : Cour occidentale (espace D sur le plan) et fosses creusées dans le rocher destinées aux pyrai sacrificielles, vue du Nord vers le sud (© CReA-Patrimoine).
Fig. 8 : La fosse T71 et la chytra éginète en place (© CReA-Patrimoine).
Fig. 9 : La chytra éginète de la T71 après restauration (© CReA-Patrimoine).
Fig. 10 : Le loutérion du Ve s. après restauration (© CReA-Patrimoine).
La réoccupation classique (début Ve – milieu IVe s. av. J.-C.)
Le complexe architectural archaïque fut détruit brutalement au début du Ve s. av. J.-C. sans être pour autant abandonné, même si l’occupation que l’on y repère ne donna pas lieu à la reconstruction des couvertures. C’est en effet un complexe largement hypèthre qui accueille désormais les activités rituelles (Fig. 4). Le foyer de la pièce principale de l’ancien bâtiment est toujours en activité ; on construit un autel et on aménage un bassin dans le corridor, qui est désormais fermé à l’Ouest ; on conserve la mémoire des sépultures, même si on leur offre un nouvel aménagement et, tout en réduisant l’espace de la cour occidentale, on réorganise l’aire située au sud du complexe, en relation avec l’une des sépultures (T71), désormais directement en contact avec cet espace méridional. Le caractère cultuel de ce nouveau dispositif semble attesté par l’installation à cet endroit d’un louterion du Ve s. av. J.-C. (Fig. 10) qui a été retrouvé à l’angle Nord-Ouest de la salle F. On y reconnaîtrait volontiers le marqueur de la sacralité de ce secteur.
L’abandon des structures
Dans le courant de la 1re moitié du IVe s., le secteur fait l’objet d’un abandon volontaire, qui touche également l’espace Sud. À la même époque, on constate une reprise de l’activité funéraire dans la nécropole sous la forme de monuments funéraires très soignés, constitués d’une base en ammouda surmontée de deux degrés de blocs de calcaire gris. Il faut souligner le fait que ces premières tombes sont implantées selon un axe rigoureusement parallèle à la façade orientale du complexe archaïque, ce qui montre que ce dernier, même en ruine, constituait un élément de référence, architecturale et sans doute symbolique, dans le paysage environnant. Ils bordaient aussi très vraisemblablement une ancienne voie qui menait directement à la porte principale de l’édifice archaïque. La valeur accordée à ce complexe dans le contexte funéraire tardo-classique et hellénistique est suggérée par le fait que l’ensemble du secteur est préservé de toute réoccupation jusqu’au milieu du Ier s. av. J-C., quand une ultime tombe, appartenant à la dernière phase de ce secteur de la nécropole, y est creusée.
L’étude du matériel mis au jour est en phase de finalisation. Des analyses archéométriques, archéobotaniques et archéozoologiques sont également en cours pour compléter l’étude en vue de la publication du complexe archaïque.
L’Équipe (2011 – 2019)
- Directeurs du projet
- Athéna Tsingarida (professeur ULB) et Didier Viviers (professeur ordinaire ULB)
- Archéologues
- I. Algrain, A. Attout, Th. Brisart, M. de Wit, V. Saripanidi, D. Tonglet, J. Vanden Broeck-Parant; V. Vlachou.
- Paléoenvironnement – anthropologie physique - archéométrie
- A. Boucherie (archéologue-anthropologue, CReA-Patrimoine), E. Margaritis (archéobotaniste, The Cyprus Institute), T. Theodoropoulou (archéozoologue, ARSCAN, CNRS – Université Paris I – Panthéon Sorbonne), E. Nodarou (analyses de céramique en laboratoire, Institute of Aegean Prehistory Study Centre for East Crete, INSTAP)
- 3D ; relevés/plans ; infographie et dessins, Travaux de restauration et de stabilisation
- O. Debeer, R. Ercek, & N. Warzée (LISA, Faculté de Polytechnique ULB), S. Delcros (architecte), A. Stoll (dessins et infographie), St Chlouveraki (conservateur - restaurateur, University of West Attica), E. Toumbakari (ingénieur, Ministère Hellénique de la Culture, Monuments et Sites), G. Missemikes (restaurateur).
- Techniciens
- G. Kafessakis (entrepreneur) ; I. Milidakis, Manolis Oikonomakis, Yannis Papadomanolakis (techniciens).
- Étudiants ULB
Publications
- D. Viviers & A. Tsingarida, « Facing the sea: Cretan Identity in a harcour-city context. Some remarks on the early development of Itanos”, in F. Gaignerot-Driessen, J. Driessen (eds), Cretan Cities. Formation and Transformation, Louvain-La-Neuve, 2014, 165 – 182.
- A. Tsingarida & D. Viviers, “No more Gap: some new evidence of collective practices in Itanos during the 6th and 5th centuries BC”, in I. Lemos & A. Tsingarida (eds.), Beyond the polis. Rituals, Rites and Cults in Early and Archaic Greece (12th – 6th centuries BC), Bruxelles, 2019, [Études d’Archéologie 15, CReA-Patrimoine], sous presse.
- A. Tsingarida, D. Viviers (dir.), La Nécropole d’Itanos : le complexe archaïque, en préparation
Campagne 2019 et projet de fouilles (2020 – 2024)
Les travaux prévus en 2019 seront consacrés à une campagne de relevés topographiques de l’ensemble des structures visibles au nord du secteur fouillé en 2011-2015. Ces travaux devront enregistrer un ensemble de structures archéologiques, qui semblent importantes pour une compréhension plus précise du site et de son organisation spatiale.
Les relevés topographiques se concentreront sur 3 zones du site archéologique (Fig. 11) :
1. Sur la colline de la nécropole. Ils relèveront les structures présentes, d’une part, au Nord du complexe archaïque jusqu’à la route moderne, et, d’autre part, sur le versant oriental jusqu’à la plage ainsi qu’au sud du complexe archaïque.
2. Au pied de la colline de la nécropole, au bas du versant oriental, à l’endroit où une piste prolonge la voie goudronnée vers la plage et où le passage fréquent des voitures a mis au jour un segment de mur, qui pourrait appartenir au rempart de la ville.
3. À l’intérieur de la cité, sur l’Acropole Ouest, plus particulièrement sur ses flancs Nord et Ouest.
Les relevés topographiques de ces 3 zones nous semblent importants pour compléter et réaliser une carte archéologique qui reprendrait toutes les installations présentes et visibles en surface. Un tel document sera utile pour compléter la documentation archéologique du site et préparer les futures campagnes de fouille (2020-2024)
Le futur programme explorera les secteurs situés tant au Nord qu’au Sud du complexe archaïque afin de permettre une meilleure compréhension de l’organisation spatiale de la nécropole, de son articulation et de son rapport avec le complexe archaïque lors des occupations antérieures et postérieures de ces espaces.
Le relevé topographique du point 2 devra par ailleurs documenter la demande de permis de fouilles pour un sondage à l’endroit où est apparu un segment de mur appartenant vraisemblablement aux fortifications de la cité. Si la fouille confirme la nature et la fonction de cette structure, alors on pourrait envisager de mettre au jour l’ancienne voie qui reliait la ville à sa nécropole.
Une telle restitution permettrait de surcroit de proposer au public une nouvelle voie d’accès au site de la nécropole et du complexe archaïque. Cet axe suivrait un tracé antique et permettrait, dans la phase finale du programme, une meilleure mise en valeur de la zone archéologique.
Remerciements
Le programme de fouilles a bénéficié du soutien et de l’aide du Service archéologique de Crète orientale, plus particulièrement de Mesdames Chryssa Sofianou et Vasso Zographaki. Pour la campagne de restauration, nous avons également bénéficié des conseils et de l’aide de Clio Zervoudaki (restauratrice, Service Archéologique de Crète orientale). Toute l’équipe tient à remercier la responsable archéologue (epoptria) du Service archéologique grec pour le site d’Itanos, Despoina Koinaki, Massimo Resti pour l’entretien de notre réserve et les habitants des villages de Palaikastro et d’Agathia pour leur accueil chaleureux et leur amitié précieuse pendant toutes ces années de présence continue en cette région de Crète.