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Archéologie préhistorique

La grotte de la Pasiega (Puente Viesgo, Cantabrie, Espagne)
 

Situation et historique

La grotte de La Pasiega est située sur le versant SE du mont Castillo, dans la commune de Puente Viesgo (Santander, Cantabrie). Elle se présente comme un réseau complexe de galeries, subdivisé en 4 secteurs ornés distincts (A, B, C et Galerie centrale). Son développement est de 415 m et la cavité comporte deux entrées artificielles, l’entrée de la découverte et trois entrées paléolithiques, aujourd’hui colmatées. Les coordonnées géographiques des entrées praticables sont : longitude 0°16’41” ouest et latitude 43°17’21” nord ainsi que longitude 0°16’46” ouest et latitude 43°17’20” nord. Le réseau se situe à 190 m d’altitude par rapport au niveau de la mer.

Découverte le 23 mai 1911 par Paul Wernert et Hugo Obermaier, la grotte a été étudiée et publiée en 1913 par Henri Breuil, Hugo Obermaier et Hermilio Alcalde del Río, dans la série initiée par le Prince Albert Ier de Monaco. Elle fut réétudiée ensuite de 1984 à 1990 par Rodrigo de Balbín Behrmann et César González Sainz. Le nombre d’unités graphiques répertorié en 1995 par ces derniers auteurs totalisait 440 motifs répartis en 295 animaux, 143 motifs non figuratifs et 2 anthropomorphes. Ces auteurs n’ont cependant pas publié de monographie à la suite de leur travail. C’est pourquoi nous avons entrepris une nouvelle étude exhaustive du site qui réponde aux exigences actuelles de la recherche en préhistoire. La grotte de La Pasiega est inscrite sur la liste du Patrimoine Mondial de l’Humanité de l’UNESCO depuis juillet 2008.

Fig. 1. Situation géographique de la grotte de La Pasiega.

Fig. 2. Plan de la grotte de La Pasiega.

Chronologie des occupations

Deux sondages ont été réalisés : le premier en 1951, à l’occasion du creusement du chemin d’accès, par Jesús Carballo et Alfredo García Lorenzo, au niveau de l’ancienne entrée de la Galerie B ; le second en 1952, par Joaquín González Echegaray et Eduardo Ripoll Perelló, à l’articulation de la Galerie A et de la Galerie centrale. Ces sondages ont permis de mettre au jour des objets attribués au Paléolithique moyen, au Solutréen récent et au Magdalénien (ancien ou moyen). En ce qui concerne le décor pariétal, la majorité des motifs ont été réalisés au moyen de peintures à l’hématite ou à la gœthite ou gravés et échappent donc à toute datation directe. Quelques figures ont néanmoins été dessinées au charbon de bois. Deux d’entre elles ont fait l’objet d’une datation C14 AMS. Les résultats obtenus sont de 13.730 ± 130 B.P. (GifA 98166) pour la première et de 12.469 ± 160 (GifA 98165) et 11.990 ± 170 B.P. (GifA 98164) pour la seconde. En 2012, Alistair Pike et son équipe ont utilisé la méthode de la série de l’uranium en vue de dater la calcite qui recouvre les motifs, afin d’augmenter les données utilisables. Les résultats obtenus sont toutefois trop disparates pour être vraiment exploitables. Les dix-sept datations effectuées s’étendent de 730 ans de notre ère à 18.468 ans avant notre ère, et quatorze d’entre elles sont, à l’évidence, trop jeunes puisqu’elles sortent du cadre chronologique du Paléolithique supérieur (entre 730 ans de notre ère et 8.924 ans avant notre ère). Trois dates, obtenues au départ d’échantillons de la Galerie C, s’inscrivent néanmoins dans une fourchette chronologique acceptable. Elles placent un cerf rouge à 11.890 ans, un point rouge à 12.580 ans et un triangle rouge à 18.468 ans. Elles renvoient au Magdalénien pour les premières et au Solutréen pour la dernière. Plus récemment, dans un article plus récent, D. Hoffmann et son équipe avancent pour un motif de La Pasiega C une date située autour de 65.000 ans (en fait, 4 dates pour un quadrangulaire, qui s’échelonnent de 22.000 à 65.000 ans), ce qui renvoie à l’époque de Néandertal.

Objectifs de l'étude

Notre objectif est de réaliser une étude complète du décor pariétal de la Pasiega et des témoins archéologiques laissés par les occupants paléolithiques (dépôts, bris, traces d’activité…), afin de mieux comprendre les principes qui ont présidé à la construction symbolique de ce décor. La première étape vise à établir le corpus aussi exhaustif que possible des traces anthropiques, tant esthétiques qu’archéologiques, présentes sur les parois et au sol de la cavité. Chacun des témoins esthétiques et archéologiques repéré est localisé, décrit, mesuré, photographié et macrophotographié, suivant la méthode mise en place lors de nos travaux dans la grotte voisine d’El Castillo. Dans la mesure où les caractéristiques morphologiques de l’espace sont un facteur important dans l’étude des grottes ornées, le travail de recensement est complété par des séquences filmées, ainsi que par une couverture photographique complète du réseau en vue de reconstitutions photogrammétriques. L’exiguïté de certains espaces oblige souvent, pour des raisons conservatoires, d’effectuer les prises de vue au moyen d’une perche et de commander à distance les paramètres pour la prise des clichés. Les photos numériques sont ensuite remontées, après gestion éventuelle de la déformation optique. Mais le projet vise également à mieux comprendre les techniques mises en œuvre pour la réalisation des motifs. Les premières recherches apportent, à cet égard, des informations intéressantes sur les techniques mises en œuvre pour peindre ou graver, sur la présence de tracés préparatoires ou sur la construction formelle des figures. Enfin, comme nous l’avons fait pour les peintures et dessins de la grotte d’El Castillo, notre programme prévoit l’analyse d’échantillons de pigments (SEM, diffraction, TEM). Celle-ci se fera dans le cadre d’une collaboration avec la Prof. Marie-Paule Delplancke (ULB, École Polytechnique de Bruxelles) et le Dr Freddy Damblon (Institut royal des Sciences naturelles de Belgique) pour l’identification des essences végétales.

Quelques résultats

Les recherches mettent en évidence la grande richesse du décor pariétal de ce site, mais aussi son originalité. Si l’on excepte de rares motifs tracés au charbon de bois ou à la gœthite (jaune), la Galerie A est structurée par des motifs peints à l’hématite (rouge). Au plan thématique, ce secteur est dominé par les représentations de biches, de cerfs et de chevaux. Les autres animaux du bestiaire figuré (bison, bouquetin, loup) sont anecdotiques. Le registre des motifs non figuratifs est toutefois également largement représenté, avec des quadrangulaires cloisonnés et d’étonnants motifs rayés en forme de pirogue. L’analyse de leur distribution indique qu’ils ont été systématiquement accumulés dans les espaces étroits d’accès difficile de cette partie du réseau.

Cette logique a d’ailleurs également présidé à la distribution des représentations animales. Il est intéressant de constater que les motifs ont été distribués selon une densité croissante, du début de la galerie jusqu’à l’espace du fond, dont ils envahissent jusqu’aux recoins les plus étroits (diaclase, niches hautes…). Les peintres de cette galerie ont donc non seulement privilégié le secteur le plus profond du réseau – quelle qu’ait été l’entrée utilisée à l’époque –, mais ils ont aussi voulu intégrer des endroits excentrés par rapport à l’espace de circulation principal.

Une logique très différente a, en revanche, présidé à l’organisation du décor pariétal dans la galerie B. Deux dispositifs pariétaux distincts peuvent être isolés : le premier comporte des représentations animales peintes, le second des figurations finement gravées de petite taille. Les animaux peints, majoritairement en rouge, ont été disposés derrière une ancienne entrée de la grotte aujourd’hui comblée. Leur tracé est large et leurs dimensions varient de 60 cm à plus d’un mètre. Au plan thématique, ce réseau associe le cheval et le boviné au mégacéros – ce qui fixe au plus tard la facture de ces représentations au Solutréen, puisque ce cervidé disparaît à cette époque.

Mais c’est la distribution de ces peintures qui constitue l’élément le plus intéressant. Ces représentations ont été peintes sur le plafond et les parois de cet espace qui, à l’époque préhistorique, était ouvert vers l’extérieur, puisque des niveaux archéologiques du Paléolithique supérieur y ont été mis au jour. Ces œuvres étaient donc directement éclairées par la lumière du jour, grâce à la proximité de l’entrée (orientée vers le sud) et qu’elles étaient donc nettement visibles pour ceux qui pénétraient dans la grotte. Les figures ont aujourd’hui perdu beaucoup de leur lisibilité à cause de leur proximité avec l’extérieur. En outre, il est difficile de déterminer les dimensions de cette ancienne entrée à l’époque. Toutefois, il est manifeste que le porche lui-même était orné, comme le démontrent les vestiges de figures animales encore visibles sur une conque du plafond, immédiatement après l’ouverture du réseau. Contrairement à ce que nous avons relevé pour la Galerie A, la densité des représentations décroît ici nettement de l’entrée vers le fond du secteur. Et les peintures de ce type disparaissent d’ailleurs complètement dans les zones plus profondes. De ce point de vue, ce décor se rattache davantage à la tradition des sanctuaires de plein air telle que l’a définie Javier F. Fortea Pérez qu’à celle des grottes profondes.

Le secteur C comporte également un ensemble important de motifs, qui associe également des représentations animales et des motifs non figuratifs – en particulier des quadrangulaires cloisonnés. Il importe de noter, tout d’abord, que les figurations animales de ce réseau présentent entre elles des différences thématiques, techniques et stylistiques telles qu’il est légitime d’y voir deux ensembles pariétaux distincts. Le premier comporte des animaux dessinés au charbon de bois, dont deux d’entre eux ont été datés au Magdalénien par C14 AMS (cf. supra). Le second comprend des motifs figuratifs (biches, bisons, aurochs) et non figuratifs (de type géométrique) de couleur rouge, jaune et violet. Les animaux noirs du premier ensemble ont été distribués par petits ensembles tout au long de la Galerie, à faible hauteur par rapport au sol.

Ils n’imposent pas de quitter la voie de cheminement principale pour être vus, mais semblent, au contraire, baliser l’espace de ce secteur. La situation diffère, en revanche, pour des motifs peints à l’hématite (rouge ou violet) ou à la gœthite (jaune), dont la disposition ne s’explique que par la relation intime qu’ils entretiennent avec des particularités architectoniques de l’espace. Certains d’entre eux ont été disposés dans des replis ou des espaces creux de la paroi, d’autres dans des endroits confidentiels en marge de l’espace principal. Ces motifs peints ont donc été distribués selon une logique très différente de celle qui a servi à organiser les dessins noirs.

L’examen de ces trois ensembles montre donc que les motifs de la grotte n’ont été distribués ni de manière homogène, ni en respectant la même logique. Le cortège des animaux figurés dans le réseau, tous secteurs confondus, est réparti en privilégiant certaines zones, en fonction d’impératifs précis qu’il est possible de préciser. La première constatation est que réseau spéléologique et réseau symbolique ne se confondent pas pour les utilisateurs paléolithiques. Du point de vue spéléologique, la grotte de La Pasiega est formée d’une série de galeries relativement étroites, directement articulées les unes aux autres à l’époque. Au plan symbolique, cette grotte comporte plusieurs dispositifs ornés qui occupent chacun des secteurs distincts et répondent à une logique spécifique. De telles différences dans les thèmes, dans les techniques et dans la distribution des motifs ne sont, du reste, pas propres à cette grotte. Nous en avons également mis en évidence dans la grotte voisine d’El Castillo. Ces disparités montrent, en tout cas, que si le modèle universaliste prôné autrefois par A. Leroi-Gourhan ne peut plus être conservé aujourd’hui, il reste que les ensembles pariétaux ont été structurés en fonction d’intentions qui, pour être variables en fonction des réseaux, n’en sont pas moins clairement codifiées.

1. La Pasiega A, Grande Diaclase : quadrangulaire cloisonné ; 2. La Pasiega A, Grande Diaclase : motif rayé en forme de pirogue ; 3. La Pasiega A : vue de la Grande Diaclase ;  4. La Pasiega A : vue partielle de la Coupole ;  5. La Pasiega B : bouquetin gravé  6. La Pasiega B : mégacéros ; 7. La Pasiega C : deux biches rouges de part et d’autre d’une faille vertical ; 8. La Pasiega C : bouquetins du dispositif noir.

Contact

Marc GROENEN - Professeur de l'université

Indications bibliographiques

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