Codex et archéologie

Derniers occupants préhispaniques de l’actuel Mexique central, les Aztèques sont connus pour le vaste empire qu’ils bâtirent au cours du XVe siècle et qui s’effondra brutalement en 1521 lorsque leur capitale, Mexico-Tenochtitlan, qui comptait alors près de 250 000 habitants, tomba aux mains des conquistadores espagnols.   
 

L’empire aztèque à la veille de la conquête espagnole
Fig. 1 : L’empire aztèque à la veille de la conquête espagnole (source : Wikimedia commons https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Aztec_Empire_1519_map-fr.svg).


La culture aztèque est l’une des mieux documentées de l’Amérique précolombienne, en raison de l’existence de manuscrits pictographiques autochtones (les « codex ») et des nombreux écrits produits à l’époque coloniale, en espagnol ou dans la langue des Aztèques, le nahuatl, transcrite en alphabet latin. 

En revanche, bon nombre de sites aztèques importants n’ont été fouillés que tardivement et de manière incomplète, les villes coloniales ayant bien souvent été bâties par-dessus les villes préhispaniques. C’est notamment le cas de Mexico-Tenochtitlan et de son centre cérémoniel. Ce dernier, dont la pyramide principale ou « Grand Temple » fut redécouverte fortuitement en 1978 à l’occasion de travaux d’électricité, consistait en une vaste enceinte de plusieurs centaines de mètres de long, renfermant des dizaines de structures différentes (temples, plates-formes d’exposition de crânes, terrain de jeu de balle, bassins rituels, logements pour les prêtres…). Il jouait un rôle crucial dans la vie de la capitale aztèque. Depuis lors, les chercheurs n’ont eu de cesse de confronter les découvertes archéologiques aux descriptions des sources écrites. 

Dans cette optique, les projets de recherche menés à l’ULB s’articulent autour de deux grands axes : les codex en tant que tels, et la mise en relation des textes avec les données archéologiques. 
 

Codex 

L’aire culturelle d’Amérique centrale que les spécialistes désignent sous le nom de Mésoamérique est la seule de l’Amérique précolombienne à avoir connu des manuscrits et des systèmes d’écriture et, à ce titre, elle fascine souvent les chercheurs tout comme le grand public. Pour les Aztèques, s’y ajoutent une kyrielle de documents réalisés après la conquête espagnole. 
 

Les planches 14 à 17 du Codex Borbonicus
Fig. 2 : Les planches 14 à 17 du Codex Borbonicus, conservé à la Bibliothèque de l’Assemblée Nationale (France) (photo : Citadelles & Mazenod).


L’édition et l’étude critique de ces documents ethnohistoriques – c’est-à-dire les codex préhispaniques ou réalisés à la manière préhispanique, et les sources écrites coloniales en nahuatl ou en espagnol – sont indispensables. 

Certains sont encore inédits à l’heure actuelle, d’autres n’ont été que partiellement ou mal publiés et la plupart d’entre eux est loin d’avoir fait l’objet de toutes les études nécessaires, tant en ce qui concerne leur matérialité même que leur contexte de production et leur contenu. 

De par les localisations actuelles de ces documents et la diversité des études nécessaires, les projets de recherche qui les concernent font souvent appel à des équipes internationales et pluridisciplinaires. Ce fut par exemple le cas pour la préparation d’une nouvelle édition commentée de l’un des plus impressionnants manuscrits du Mexique ancien parvenus jusqu’à nous, le Codex Borbonicus, qui fit appel à des historiens et des historiens de l’art mais aussi à des physiciens. Cette bande de papier d’amate – un papier réalisé à partir d’écorce de ficus battue – longue d’un peu plus de 14 mètres et soigneusement peinte de glyphes et figures aux couleurs vives est tout à fait exceptionnelle, de par son grand format et la précision de son iconographie, mais aussi par certains des thèmes qui y sont abordés. Bien plus qu’un simple calendrier ou qu’un outil divinatoire, le manuscrit détaille notamment les principales divinités et les rites qui rythmaient l’année solaire dans la culture aztèque.  
 

La nouvelle édition commentée du Codex Borbonicus
Fig. 3 : La nouvelle édition commentée du Codex Borbonicus 
(José Contel et Sylvie Peperstraete (dir.), Le Codex Borbonicus, Paris, Citadelles & Mazenod, 2021). 

La 20e treizaine, Ce Tochtli ou « Un Lapin »,
Fig. 4 : La 20e treizaine, Ce Tochtli ou « Un Lapin », dans le Codex Borbonicus (photo : Citadelles & Mazenod).


Des études sur plusieurs autres codex (Codex Vaticano A, Codex Cospi) et textes anciens (Hystoyre du Mechique) sont actuellement en cours. 

Textes et archéologie 

De nombreux aspects de la culture aztèque ont longtemps été documentés par les descriptions des sources écrites du XVIe siècle bien plus que par l’archéologie. Il s’agit dès lors de confronter les nouvelles données issues des fouilles aux descriptions et dessins des manuscrits sur lesquels on s’était tant reposé. C’est d’autant plus nécessaire que, si la tradition aztèque de peinture de manuscrits ne s’est pas arrêtée du jour au lendemain avec la conquête espagnole, l’exercice de la critique historique impose d’aborder les documents produits à l’époque coloniale avec une prudence extrême. L’influence plus ou moins importante qu’a pu exercer la culture occidentale sur les auteurs de ces ouvrages altère en effet souvent la fiabilité des données qu’ils renferment sur l’univers préhispanique. 

Cette démarche s’inscrit dans une réflexion sur la méthodologie à mettre en œuvre pour aborder la documentation relative aux cultures mésoaméricaines, et mieux comprendre la façon dont les sources du XVIe siècle ont été élaborées. Pour ce faire, il est indispensable de recouper toutes les données disponibles, que ce soit par le biais du matériel archéologique, de l’iconographie, des textes coloniaux ou encore du lexique nahuatl, dans une approche pluridisciplinaire et contextuelle. 

 En plus des données directement récoltées lors des fouilles, un abondant matériel est conservé dans les collections de musées du monde entier. Selon les thématiques étudiées, il constitue une ressource essentielle pour les chercheurs. 

Sujet aussi passionnant qu’inépuisable, l’organisation sacerdotale aztèque fait par exemple partie de ces problématiques qui ont pu être totalement revues à la lumière de cette approche croisée des sources. En effet, l’image du prêtre arrachant le cœur encore palpitant d’une victime sacrificielle est prégnante parce qu’elle défie l’imagination, mais aussi parce qu’il s’agit quasiment de la seule à avoir été véhiculée en Europe depuis le XVIe siècle et l’époque coloniale. Quantité d’autres données sont pourtant disponibles sur les spécialistes rituels préhispaniques et leur place au sein de la société. C’est ainsi qu’après plus de dix ans de recherches, Sylvie Peperstraete a publié la première monographie consacrée aux prêtres aztèques (À l’ombre de Quetzalcoatl. Les prêtres et l’organisation sacerdotale aztèques, Turnhout, Brepols, 2023). Au-delà de l’organisation sacerdotale à proprement parler, ses recherches l’ont amenée à aborder une série d’autres sujets liés à la religion et au fonctionnement de la société aztèque. Les prêtres se sont révélé être une sorte de fil rouge qui traverse pratiquement tous les aspects de la société préhispanique. 

 

Le livre À l’ombre de Quetzalcoatl. Les prêtres et l’organisation sacerdotale aztèques
Fig. 5 : Le livre À l’ombre de Quetzalcoatl. Les prêtres et l’organisation sacerdotale aztèques
(Turnhout, Brepols, 2023). 

Un prêtre ayant revêtu les atours du dieu Tlaloc
Fig. 6 : Un prêtre ayant revêtu les atours du dieu Tlaloc (encensoir en céramique conservé au Museo Nacional de Antropología, Mexico – photo : Sylvie Peperstraete).


Actuellement, de nouveaux projets sont en cours sur l’iconographie du sacrifice en Mésoamérique et d’autre part, sur l’expression des mythes dans la sculpture aztèque. 

Huitzilopochtli et Motecuhzoma, munis d’épines autosacrificielles, rendent hommage au soleil
Huitzilopochtli et Motecuhzoma, munis d’épines autosacrificielles, rendent hommage au soleil
 
Fig. 7 : Huitzilopochtli et Motecuhzoma, munis d’épines autosacrificielles, rendent hommage au soleil (détail du « teocalli de la guerre sacrée », sculpture conservée au Museo Nacional de Antropología, Mexico – photo : Sylvie Peperstraete, dessin : Nicolas Latsanopoulos).